Politique de la ville. Les maires de banlieue ont du mal à accepter la parole des habitants

Publié le par CNL-Nanterre

9 juin 2016 Le Monde

Les deux mots sont employés sur tous les tons. La démocratie participative est devenue le nouveau viatique des élus pour conjurer la coupure qu'ils sentent de plus en plus grande avec leurs administrés. Plus une campagne municipale sans qu'elle ne soit invoquée. La notion est aussi inscrite dans tous les documents de rénovation urbaine ou projets de la politique de la ville dans les quartiers prioritaires. Elle avait même été mise en exergue de la loi de programmation pour la ville, en février 2014. Mais les mots ont bien du mal à être mis en pratique.

La « coconstruction » avait été le leitmotiv de la loi, après le rapport Mechmache-Bacqué qui avait fait le constat d'une « absence flagrante d'espaces de débat et d'échanges » en banlieue malgré l'immense attente des citoyens vis-à-vis des institutions. Le responsable de l'association AC-Lefeu et la sociologue y préconisaient le lancement d'une démarche de réappropriation par les citoyens d'un pouvoir d'interpellation et d'action à l'égard des pouvoirs publics. Devant la frilosité des maires, l'expérimentation d'un dispositif québécois les « tables de quartier » avait été lancée par la Fédération des centres sociaux et la coordination associative Pas sans nous. Le ministère a financé leur mise en place dans douze villes pour trois ans.

« Les moyens de se faire entendre »

Le bilan montre que ces ovnis citoyens des lieux autonomes de discussion et d'initiative locale rencontrent un véritable écho auprès des habitants. « Avoir plusieurs dizaines de participants dans des quartiers qui se sentent délaissés, c'est énorme ! Le public est intergénérationnel, mélangé et ça permet de se trouver un destin commun », souligne Daniel Blanchard, ouvrier au chômage à l'initiative d'une table à La Roseraie, la banlieue sud d'Angers (Maine-et-Loire). Mais ces nouveaux acteurs ont du mal à se faire reconnaître par les autorités publiques.

Sur les douze sites, seul celui de Mulhouse (Haut-Rhin) semble avoir vraiment trouvé un terrain de discussion avec la mairie. Le centre social et une vingtaine d'habitants impliqués dans le quartier Franklin-Fridolin, une cité ouvrière du vieux Mulhouse, organisent depuis deux ans des rencontres citoyennes, mélange d'échange d'information et de discussion des initiatives de la mairie. « Ce que nous faisons est vu d'un très bon oeil par la mairie, assure Joël Texier, directeur du centre social. Les élus et les techniciens viennent quand on leur demande. Les habitants impliqués ont compris qu'ils avaient les moyens de se faire entendre. »

« La démocratie directe ne doit pas être prise en otage »

Ailleurs, le courant passe mal. A Amiens, une des villes pourtant repérée comme un succès de l'expérimentation, la mairie estime que les tables de quartier n'ont pas lieu d'être. Xavier Dejonquères, secrétaire du Collectif pour la rénovation urbaine d'Etouvie (nom d'un quartier de HLM), en convient : « Avec une trentaine d'habitants investis, notre table marche plutôt bien mais nous sommes totalement ignorés par la mairie et le préfet. »

Même constat dans le 13e arrondissement de Marseille où une petite centaine de personnes participe aux réunions plénières : « On arrive à avoir des contacts avec les services techniques ou le préfet, mais pas la mairie », relate Fatima Mostefaoui, de la coordination Pas sans nous. Idem à Montpellier : « On ne reconnaît pas ce type de structure, tranche Philippe Saurel, maire divers gauche. La démocratie directe ne doit pas être prise en otage par des associations qui ne représentent pas les habitants. »

La situation est encore plus tendue à Roubaix (Nord) où les associations sont en conflit ouvert avec la mairie Les Républicains après une action de contestation de la rénovation urbaine. A Toulon, « le maire est d'accord pour les couscous ou les tournois de foot mais dès qu'on veut réfléchir ou revendiquer, on passe pour des anarchistes ! », remarque Daniel Bikiny, agent de sécurité et animateur du collectif Quartiers libres.

Les conseils citoyens, « une catastrophe »

Pour beaucoup d'élus, la démocratie directe, les conseils de quartier et les conseils citoyens qu'ils mettent eux-mêmes en place sont les seuls lieux d'expression légitimes. « Les élus ne sont pas habitués à discuter de leurs projets, analyse Jérémy Louis, chargé de mission à la Fédération des centres sociaux. Ils estiment qu'ils sont seuls porteurs de l'intérêt général après leur élection. Et ils ont peur d'être dépassés. » Le cabinet d'Hélène Geoffroy, secrétaire d'Etat à la ville, le reconnaît : « Il y a clairement un conflit de légitimité. Cette parole qui émerge a pourtant un vrai sens. Ce sont des braises sur lesquelles on essaie de souffler », confie un conseiller qui promet un soutien financier plus fort.

Malgré l'annonce de ce coup de pouce, Marie-Hélène Bacqué ne croit guère que les maires changeront d'attitude. « Quand on voit ce que donnent les conseils citoyens, lancés il y a moins d'un an, c'est une catastrophe. Les villes ont cherché partout à contrôler ces espaces indépendants », regrette la chercheuse. Une évaluation de ces nouvelles instances, que les villes et agglomérations doivent installer pour associer les habitants, est en cours à l'université de Lille. Elle esquisse le même pronostic : ces instances de concertation auraient été largement « municipalisées » ou calquées sur les conseils de quartiers qui réunissent toujours les mêmes militants locaux. « Certains élus attendent l'élection présidentielle, certains que cela va s'arrêter », glisse un des chercheurs en charge de l'étude.

Publié dans revue de presse

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